Jean-Yves Allemand est un passeur, il dévoile, fait vivre ou refait vivre un patrimoine singulier autour de pièces rares du design du XXe siècle. Il est également le commissaire de l'exposition consacrée au designer Pierre Paulin lors des Puces du Design cet automne. Il répond à nos questions lors d'un court entretien qu'il nous a accordé.

Pierre Paulin (1927-2009) est l'un des designers majeurs du 20° siècle. Ses créations, entrées dans les collections des plus grands musées du monde surtout à partir du milieu des années 2000, ponctuent chaque édition des Puces du Design depuis leur création en 1999 où elles rencontrent un public qui, pendant longtemps, n'a pas su apprécier à sa juste valeur ce travail moderne et novateur et le talent de leur concepteur.

Alors qu'une rétrospective retracera le parcours de Pierre Paulin au Centre Pompidou au printemps 2016, Les Puces du Design s'associent au galeriste Jean-Yves Allemand, amoureux des lignes voluptueuses des assises de Pierre Paulin depuis de nombreuses années, pour présenter, dans un parcours pédagogique et complet un hommage à ce designer phare de la seconde moitié du 20° siècle.

"Pierre Paulin est un créateur proposant des œuvres extrêmement ludiques, confortables, appropriées au monde dans lequel on vit. Son tempérament réservé et rigoureux a permis que son travail aille à l'essentiel."Jean-Yves Allemand

Le galeriste Jean-Yves Allemand et commissaire de l'exposition consacrée au designer Pierre Paulin a répondu aux questions de la rédaction du magazine.

MUUUZ  Dans nos sociétés contemporaines quels rôles ont, pour vous, le design ? Avait-il un rôle et une importance différente pendant le mouvement moderne ?

Jean-Yves Allemand Ce ne sont pas exactement des questions que je me pose en premier lieu, ces questions sont avant tout à poser aux designers. Le design doit être fonctionnel avant d'être beau. La notion esthétique arrive toujours dans un second temps. L'appellation même de design est d'ailleurs née tardivement. Avant la Première Guerre mondiale, les designers étaient des passionnés qui luttaient souvent pour survivre et imposer des idées nouvelles aux industriels.
Pour démocratiser le mobilier et tordre le cou à l'exclusivité, certains architectes se sont penchés sur la grande série avec toujours l'idée de penser l'espace en fonction de l'humain. Plus besoin de faire appel aux ensembliers décorateurs (à un ébéniste pour fabriquer une chaise ou un ferronnier pour une lampe...). Ces designers pensent une sorte de sur-mesure démocratique, des pièces en série de standing où chacun peut se sentir bien.

Depuis les années 50 il y a selon moi beaucoup de redites en termes de formes et esthétiques mais il existe une multitude d'évolutions de matières extrêmement novatrices (des matériaux plus légers, transparents...). Matali Crasset est par exemple une créatrice contemporaine sachant intégrer les références au passé tout en s'affranchissant de leurs contraintes, et en explorant toujours de nouveaux matériaux.


MUUUZ Votre métier dévoile, et fait vivre ou refait vivre un patrimoine singulier, vous cherchez, trouvez et recherchez des pièces rares du design du XXe siècle. Comment définiriez-vous votre métier ?

J.Y. A. Je me considère avant tout comme un passeur. Je trouve, j'achète et je restaure des meubles et des objets pour leur rendre vie, les sublimer et me réjouir de les voir évoluer dans un nouvel environnement. Au-delà de manipuler les pièces maîtresses d'un designer, j'apprécie plus encore de dénicher des éléments plus rares, tenter de trouver l'œuvre complète d'un artiste sous-estimé.

Il y a également une forte part de satisfaction de la curiosité dans notre domaine. Dégarnir un fauteuil permet par exemple d'apprendre énormément sur les techniques de montage et de création. Elles sont datées et singulières, chaque meuble ayant un vécu différent.

Il existe aussi une fonction d'éducation réciproque avec mes clients. J'étudie leurs goûts, ils sont force de suggestion ; j'affine les miens et j'éduque les leurs. En 14 ans de métier, j'ai découvert de nouveaux artistes dont les carrières m'intéressent. Pierre Paulin en fait partie. Les mobiliers hollandais ou scandinave sont par exemple des univers vastes et passionnants. Que ce soient des fauteuils, des meubles, des lampes ou n'importe quel objet insolite, on n'a jamais fait le tour d'un sujet. Dans notre métier, on peut toucher et côtoyer des éléments totalement à l'opposé de notre domaine de prédilection. Même dans ma spécialité, je suis toujours en quête d'apprentissage. Je ne m'ennuie jamais, je ne connaîtrai jamais tout et cela en fait un métier constamment en évolution et passionnant.

MUUUZ Vous vous êtes spécialisé sur la période du XXe siècle, pourquoi avoir fait ce choix ? Pour vous, qu'est ce que le design au XXe siècle, le début d'une libération de l'objet ? Une révolution de l'objet ? Selon vous, qu'est ce que le XXe siècle a appris et léguera au monde du design ?

J.Y. A.  J'ai toujours vécu dans un milieu où les meubles du XVIIIe et XIXe siècles avaient une place très importante : Compagnie des Indes, mobilier classique du XVIIIe, peintures lyonnaises, au mieux un ensemble de salons Majorelle du début du XXe siècle... Ma famille habite des espaces au mobilier essentiellement hérité. J'ai découvert le mobilier du XXe siècle par hasard il y a 16 ans dans la boutique de Gérald Baume à Avignon, je n'y étais pas du tout familiarisé. Les formes, les couleurs, l'esthétisme, la créativité... Tout cela n'avait rien à voir avec les Bergères sur lesquelles j'avais l'habitude de m'asseoir depuis l'enfance. Le mobilier du XXe siècle était jusque-là présent en creux, de manière diffuse, sans que j'y prête réellement attention (cabinet du médecin, collectivités...). J'ai adoré le voir mis en scène, présenté dans un ensemble pour lui-même.

Je me suis pris au jeu en étudiant, en allant chiner chaque week-end au déballage lors de mes années d'études de commerce à Clermont-Ferrand (Les Salins, gare routière). A l'époque j'ai commencé à faire mes premières affaires. J'étais déjà en contradiction avec les enseignements prodigués par mon école, faire partie d'un rouage docile ne m'intéressait pas, je préférais être mon propre patron. Ce qui m'a décidé de faire de cette passion un métier, c'est que l'on y est en recherche permanente d'objets, comme en quête de trésors.

La démocratisation du mobilier doublée d'un foisonnement créatif du début du 20e siècle nous lègue un véritable art de vivre. On prenait alors le temps de prendre l'humain en considération, on le plaçait en première ligne partout. Cette transformation des intérieurs par les designers et industriels qui les soutenaient a un côté pervers à l'heure actuelle, car on a dévié vers une obsolescence programmée des choses. La majeure différence entre les XXe et XXIe siècles réside selon moi dans une industrialisation qui dans un cas est durable, dans l'autre se dégradera vite.

MUUUZ  Vous êtes le commissaire de l'exposition consacrée à Pierre Paulin lors des prochaines Puces du Design cet automne, si vous deviez décrire en quelques lignes, en quelques mots, sa vision du design ?

J.Y. A.  Pierre Paulin est un créateur proposant des œuvres extrêmement ludiques, confortables, appropriées au monde dans lequel on vit. Son tempérament réservé et rigoureux a permis que son travail aille à l'essentiel. Il sait ce qu'il veut, il s'en donne toujours les moyens malgré les obstacles. Il va au bout de ses désirs et de ses idées, sachant trouver le soutien d'industriels bienveillants comme Artifort. Il approfondit des mélanges de techniques et de textures totalement inédits.

MUUUZ Nous connaissons les travaux de Pierre Paulin, surtout par ses assises. Elles semblent toujours accueillantes, confortables et porteuses d'une grande sensualité. Pouvez-vous nous décrire la sensation que l'on ressent lorsque l'on a la chance de s'asseoir dans l'un de ses sièges ? Quel était le but de Pierre Paulin lorsqu'il concevait une assise ?

J.Y. A.  Ses meubles sont rationnels, souriants, pleins de charme, d'esprit, de légèreté, de grâce, et d'harmonie. Cela vous parait beaucoup pour un seul fauteuil ? Asseyez-vous, vous comprendrez. Pierre Paulin a produit des sièges sensuels et élégants tout en étant extrêmement confortables et adaptés aux intérieurs de l'époque, en intégrant toutes les innovations techniques possibles.

C'est d'abord un fauteuil généreux et accueillant. Contrairement au mobilier strict d'un Mies van der Rohe ou très froid d'un Bertoïa, le travail de Pierre Paulin est plein de courbes audacieuses qui ne font que suggérer le corps. Rondes et girondes mais jamais plantureuses. Organiques mais jamais vulgaires. Pierre Paulin accentue le côté très ludique de son travail grâce aux tissus employés.

Pas de mollesse ici, un confort réconfortant et ferme. Relaxant sans avachissement. Par exemple, son modèle Mushroom est une splendide métamorphose des Crapauds du 19e. Tous ses fauteuils sont en mousse et tissu gainé. Le fauteuil n'épouse pas le squelette, il ne fait qu'évoquer sa présence. Il y a un côté retour au fœtus. Enveloppé dans un cocon, on y est bien en permanence. Sa carcasse ronde faite en mousse rappelle la chair, sensuelle et familière.
Ce n'est pas un fauteuil à usage unique : on y discute, on y lit, on y améliore sa guitare, on y travaille ou on peut y piquer un somme. Pas de carcans, l'inventivité y est préférée et célébrée. Toute la famille se retrouve dans un Orange Lips. Qui n'a pas grandi avec en ritournelle parentale un « Retire tes pieds des bras du fauteuil ». Dans un fauteuil Paulin, cela n'a plus lieu d'être. On s'y sent bien dans toutes les positions car chaque corps y trouve rapidement sa position préférée sans contorsions. Plus que le corps lui-même c'est sa libération qui prévaut.

MUUUZ Quel est l'héritage de Pierre Paulin aujourd'hui ? Son travail est-il intemporel ? Existe-t-il un écho dans la création contemporaine ?

J.Y. A.  Il est quasiment impossible d'ouvrir une revue de déco actuelle sans trouver un élément signé Pierre Paulin. C'est un travail bien évidemment intemporel, nos intérieurs actuels tout comme ceux de l'époque y sont adaptés : il fait sourire les enfants et invite les humains à y prendre du bon temps.
On observe un paradoxe : bien que peu distribué en France, Artifort étant resté confidentiel sur le territoire français, Pierre Paulin s'avère incontournable. De nombreux bâtiments administratifs continuent d'être meublés par Artifort et Pierre Paulin. Encore récemment à Poitiers, où j'ai ma galerie, on a intégré des Tongue Chair dans le CDI du lycée Kyoto.

L'esprit de Pierre Paulin et ses formes continuent d'inspirer les créateurs d'aujourd'hui. Ses plus belles pièces sont dans tous les musées du monde. Il inspire des designers du 21e siècle comme les créations des frères Bourroullec ou de Konstantin Grcic par exemple... On est dans la redite permanente pour notre plus grand plaisir.

Les Puces du Design se déroulent du 08 au 11 octobre 2015, entrée libre et gratuite, Place des vins de France, Paris XIIe.

Jeudi 08 octobre : 14h - 18h puis vendredi 09, samedi 10 et dimanche 11 octobre de 10h à 19h.

Pour en savoir plus, visitez le site des Puces du Design

 



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