Rencontre avec : Nathalie Perakis-Valat, Photographe des Lilongs A l'occasion de l'exposition de ses travaux photographiques Lilong Treasures au sein de l'Atelier Yann Arthus-Bertrand, Nathalie Perakis-Valat répond aux questions de la rédaction. Ses travaux constituent un témoignage artistique et sensible de ces quartiers qui disparaissent peu à peu du paysage urbain de Shanghai.Lilong Treasures offre le regard d'une photographe sur une mégalopole en pleine mutation, où des quartiers entiers de Lilongs, à l'architecture modeste mais pleine de sens et d'histoires, se voient détruits et remplacés par un urbanisme galopant et vertical. L'exposition présentée à l'Atelier Yann Arthus-Bertrand offre une série de photographies chacune couplée à une série de messages et de pensées recueillis au sein des Lilongs de Shanghai."Nous sommes à un virage décisif, une situation de vie ou de mort. Si nous n'agissons pas maintenant, tout aura disparu dans 10 ans" Zhang Xuemin, directeur du Centre de Recherche Culturelle sur les Shikumens de ShanghaiMUUUZ Nathalie, vous vivez à Shanghai depuis 2010, une ville tentaculaire qui se développe et se transforme de manière spectaculaire. En cinq années, qu'avez-vous vu comme changements, comme bouleversements ? Que ressent-on dans une ville qui se transforme autant ?Nathalie Perakis-Valat Ce qui m'a frappée à mon arrivée à Shanghai, c'est l'aspect irréel de cette ville. J'avais l'impression de vivre un rêve éveillé. C'est ce que j'ai voulu exprimer dans ma 1ère serie "Real Shanghai?".Aujourd'hui, je suis toujours aussi impressionnée par l'énergie avec laquelle cette ville va de l'avant. Elle se transforme encore et toujours à un rythme effréné. Des quartiers entiers sont rasés pour laisser place à de grandes tours modernes. C'est fascinant, mais cela donne le tournis.MUUUZ Les Lilongs sont détruits, et laissent la place à une urbanisation verticale et galopante, quel est le regard des Shanghaïens ? Ont-ils la même perception patrimoniale des quartiers anciens, que nous européens ? Quel est ensuite votre regard à vous, sur une société qui semble détruire son patrimoine au profit de son développement ?N.P.V. Cette notion de valeur patrimoniale des quartiers anciens se développe progressivement. La municipalité de Shanghai va demander le classement des maisons shikumen (maisons traditionnelles dans les Lilongs) au patrimoine mondial de l'UNESCO. Autrefois, la ville comprenait 200 000 shikumens. Aujourd'hui, il en reste à peine 50 000.Les chinois sont très pragmatiques. Beaucoup de résidents de ces Lilongs sont ravis de saisir l'opportunité d'une vie plus confortable sur le plan matériel. Il faut savoir que les logements dans les quartiers traditionnels sont dans l'ensemble très petits et vétustes. Avoir une salle de bain, une cuisine, plus d'espace... Cela fait rêver.Avec mon âme occidentale, je ne peux m'empêcher d'éprouver de la nostalgie. Ce n'est pas tant l'aspect architectural et patrimonial qui me touche. Ce sont les implications sur la société. En effet, c'est cette vie de quartier qui m'émeut : les résidents qui passent des heures à faire des parties au mahjong, les enfants qui jouent sous l'œil attentif des voisins, les femmes qui bavardent en épluchant leurs légumes sous le linge qui sèche... Tout cela disparaît.Mon intérêt pour les Lilongs a intrigué les chinois. Un petit documentaire sur mon travail fait par une société chinoise a été vu plus de 500 000 fois sur les réseaux sociaux. Je crois que les chinois redécouvrent eux-mêmes leur culture et leur patrimoine.MUUUZ Quel est le rôle de votre travail photographique sur les Lilongs ? Quel est votre message au travers de cette exposition et de ces travaux ?N.P.V. Mon projet a démarré en 2013 avec une démarche qui était avant tout esthétique. En flânant dans un Lilong par une belle journée ensoleillée, mon œil a été attiré par un petit auvent délabré. Avec mon appareil photo, j'ai mitraillé cet auvent et y ai trouvé une réelle beauté abstraite. Je suis alors partie dans de nombreux Lilongs de Shanghai à la recherche de matières, textures, couleurs différentes. Comme une chasse au trésor.Ce n'est que dans un deuxième temps que mon travail a pris une dimension plus sociologique. En effet, j'ai réalisé qu'en regardant au delà des craquelures et fissures de ces auvents, je pourrais trouver l'âme des Lilongs et de leurs habitants. Ces petits auvents, symboles de la protection et du temps qui passe, sont également les témoins silencieux de la vie de ces quartiers traditionnels.J'ai alors décidé de retourner dans les quartiers où j'avais pris les photos pour aller à la rencontre des habitants, découvrir leur vie et leur culture. Ils se sont ouverts à moi, me faisant part de leur vie, de leurs rêves... Ils m'ont fait découvrir des devinettes, des poèmes chinois... J'ai découvert la beauté de la culture et de l'âme chinoise.C'est donc une beauté à la fois esthétique et spirituelle que je souhaite partager avec le public.MUUUZ Quels sont les trésors de Lilongs ? Y a t'il une urgence dans votre travail : en garder une trace, une mémoire artistique au travers de la photographie avant qu'ils ne disparaissent complètement ?N.P.V. La série « Lilong Treasures » se compose des photos abstraites des auvents, accompagnées de petites boites à trésor que j'ai confectionnées à partir des témoignages d'habitants ainsi que quelques objets recueillis dans les lilongs.J'ai effectivement ressenti le besoin d'aller vite, de capturer ces instants, ces images avant qu'il ne soit trop tard.Zhang Xuemin, l'un des directeurs du Centre de Recherche Culturelle sur les Shikumens de Shanghai, l'affirme : « Nous sommes à un virage décisif, une situation de vie ou de mort. Si nous n'agissons pas maintenant, tout aura disparu dans 10 ans ».MUUUZ Si nous devions et pouvions ne garder qu'une seule chose de ces quartiers, quelle serait elle ?N.P.V. Je garderais ce témoignage très émouvant d'une jeune femme originaire de la grande ville de Chongqing, arrivée à Shanghai dans l'espoir d'y trouver une vie meilleure :"Si on se donne du mal, on n'est pas sûr de réussir, mais si on ne s'en donne pas, on est sûr d'échouer".Pour en savoir plus, visitez le site de l'Atelier Yann Arthus-Bertrand et de Nathalie Perakis-Valat Précédent Suivant